woensdag 4 januari 2012

Les Fous Littéraires online #002

Epiménide l'inspiré (79)

Le maître des bas de page

De son vrai nom Jean-Marie Chassaignon (1735-1795), le Larousse dit de lui
"Mystique et instable, il fut en contact avec le mouvement illuministe lyonnais et publia une œuvre inclassable qui fascine par son étrangeté (…) La Révolution lui inspira une violente dénonciation du gouvernement jacobin." 
Blavier le nomme "défenseur des vierges cloîtrées", probablement à la suite de Brunet. Quérard en parle in "La France litteraire ou dictionnaire bibliographique des savants", tome 2, p. 145:
"J.-M. Chassaignon avait laissé beaucoup de manuscrits que son frère, épicier à Lyon, a employé pour envelopper les drogues de sa boutique."
Delepierre lui consacre un chapitre dans don "Histoire littéraire des fous", p. 163-170:


"Une mauvaise gravure représentant l'auteur en robe de chambre, assis à son bureau, ayant derrière lui la Renommée et la Muse de l'histoire, se trouve vis à vis du titre du 1er volume. Au dessous sont gravés les cinq vers suivants:
Muses, retirez-vous, je cède à mon génie,
Un coeur comme le mien est au dessus des lois.
La crainte fit les dieux, l'aufdace fit les rois,
Qui consulte est un lâche et ne fait point écrire.
Servons d'exemple, et n'imitons personne."
"Chassaignon a certainement tenu parole, car il n'a imité qui que ce soit, mais ses voeux sont restés inexaucés, il n'a heureusement servi d'exemple à personne", ajoute Delepierre avec sa verve Brugeoise.

Chassaignon, Narcisse de son temps, était un exalté. Aujourd'hui on le diagnostiquerait maniaco-dépressif, ou peut-être bipolaire. En général ces écrits contiennent pas mal de morceaux très sensés, car Chassaignon était fort érudit; mais le tout baigne dans le miasme du culte du soi et la persécution convulsive.

Cataractes de l'imagination. Déluge de la scribomanie, vomissement littéraire, hémorrhagie encyclopédique, monstre des monstres. Tome 1 (365 p.)

Cataractes de l'imagination. Déluge de la scribomanie, vomissement littéraire, hémorrhagie encyclopédique, monstre des monstres. Tome 2 (338 p.)

Cataractes de l'imagination. Déluge de la scribomanie, vomissement littéraire, hémorrhagie encyclopédique, monstre des monstres. Tome 3 (313 p.)

Cataractes de l'imagination. Déluge de la scribomanie, vomissement littéraire, hémorrhagie encyclopédique, monstre des monstres. Tome 4 (415 p.)

Voici à la suite les tables des matières de ces quatre tomes:
Dans sa préface de plus de cent pages de son oeuvre maîtresse, l'auteur s'adule profondément, se couronne sans réserves, se mire à sa resplendissante gloire, se fricote sans vergogne la moelle du moi. Il insulte tout "mécréant qui doute de notre supériorité originale" et vitupère contre qui le contrerait: "je l'en préviens, je lui fais effacer ses écrits dans des larmes de sang, j'imprime sur son front le fer de la satyre, rougi sur une braise infernale, et on le verra convulsionner sous le poignard du remords". Ne manque que le petit bout de bois dans les oneilles. Il se compare aussi aux autres: "Voltaire, J. Jacques, Corneille, et Montesquieu n'ont pas senti ce que je sens. Je me préfère moi à tous ces fastidieux personnages". Il décrit plusieurs ensuite de ses visions en un style empreint de lyrisme frénétique. Puis suivent quelques chapitres dénigrant la littérature de son temps.

Un chapitre entier du tome 2 est consacré à la scribomanie, dont  l'auteur s'avoue être atteint, mais non seulement il s'en fout mais il en est fier.

Chassaignon semble poussé dans l'art des notes de bas pages. La plus grande partie du tome 3 est un long texte intitulé "Détachement ou entrailles du monstre" composé uniquement de notes, qui originellement étaient éparpillées au bas des pages dans les volumes, mais qu'il rassembla ici car elles "y occasionnaient une espèce d'engorgement et d'obstruction. Pour dégager la masse, vider le ventricule, et éclaircir le cahos, on a cru devoir en détacher les parties hétérogènes, indigestes et compliquantes et donner ces notes en supplément". Ce qui ne l'empêcha pas néanmoins de semer des notes partout. En effet même la plupart des notes de ce chapitre comportent elles-mêmes des notes de bas de page. Ainsi au bout de 12 pages de la note 14, la note de bas de page (f) s'installe et insiste. Elle remplit à elle seule presque entièrement 13 pages et contient en outre deux anecdotes et une prophétie.

Au milieu du quatrième volume il y a trois chapitres imprimés partiellement en encre rouge. "Fin du monstre et de ses entrailles, suivie de la fin du monde et d'une esquisse des Enfers", "Arrière-Monstre, plus terrible que le Monstre" et "Paraphrase des prophéties d'Ezéchiel, etc. etc., visions, enfers, apocalypse nouvelle. Offrande au Clergé", ce dernier étant dirigé entièrement contre Voltaire. Les images ci-dessous ont été adaptées pour donner une idée de l'effet, car malheureusement le volume a été scanné en noir.

Les nudités, ou Les crimes du peuple (365 p.)


Dans cet ouvrage Chassaignon décrit les problèmes que sa condition mentale lui attirèrent. C'est une collection hétéroclite de textes, parfois politiques ou religieux, de théatre, dont un unique Acte V, suivi d'une note soudaine de huit pages, de dialogues et de proses diverses. Il y a des listes numérotées qui apparaissent tout d'un coup et qui ne mènent à rien, avalés par la masse des mots. Il y a quelques pages partagées en hauteur où deux sous-chapitres parallèles s'opposent comme pour se comparer. Et à nouveau il y a des chapitres de notes et de sous-notes. Il y a même une note qui constitue un chapitre de bas de page. Cela me rappelle les bandes dessinées de Segar ou de Herriman, où Popeye était accompagné des aventures en trois cases du Timble Theatre ou de Sappo, et où Krazy Kat s'accompagnait lui-même en miniature.
En bref il n'est pas très clair si l'auteur débute un nouveau chapitre ou s'il déambule autour de ses idées avant de les rejoindre, surpris,  un peu par hasard plus loin. Sur de telles prémisses Alphonse Allais a atteint le sublime avec le Petit Marquoir.
Il n'y a pas de table, mais voici les titres à la suite (notez l'errata):
  • Premier cabinet - Vestibule. A nosseigneurs les gueux magnifiés, les canaillocrates, adamites, caïnistes, sicaires, sanguivores, flagellistes, stercoristes. p. 1
  • Plafond au plus grand des mortels débout (sic) dans le néant. p. 23
  • Nudités, ou notes de la première dédicace p. 33
  • traduction en prose des vers satyrico-dramatiques de Juvénal. p. 60
  • La Paque constitutionnelle. Acte V. p. 62
  • Exorde p. 77
  • Second cabinet - Vestibule. Aux bouchers - Patres, et aux troupeax stupides. p. 88
  • Plafond. A un grand physicien qui dort dans l'assemblée des rois ou valets-rois p. 90
  • Nudités, ou notes de la seconde dédicace p. 101
  • Histoire du système d la nature, divisé en trois parties. p. 117
  • Cabinet dans le cabinet (1) p. 145
  • Troisième cabinet - Vestibule. p. 217
  • Petit supplément p. 224
  • Plafond. Ou ma confession générale au célèbre Adrien Tête-Lamour dit Lamourette, académicien d'Arras, théologien de la liberté, inspirateur de Riquetti, frère de Fauchet, et le plus grand des évêques propagandistes. p. 229
    Nudités, ou notes de la troisième dédicace p. 255
  • Instructions Chyromanciques d'Adrien Sicler, dit Lamouret / Instructions Pastorales d'Adrien Tête-Lamour, dit Lamourette. p. 292 (2)
  • Errata p.364

    (1) chapitre en bas de page
    (2) sous-chapitres parallèles
Les phrases sont hénaurmes (on n'écrit plus comme cela), mais tellement tarabiscotées qu'on s'y perd.
"(…) il a plu à l'amateur E.R. Ulisse de me provoquer, de m'appeler en champ clos; j'ai pris tranquillement le revers du cartel, j'ai épié la figure de mon homme, j'ai promené la sanguine, j'ai coloré quelques linéamens, j'ai placé la naissante effigie sur le chevalet, et mon salon s'est ouvert à la curiosité publique. Le pygmée patriote que j'ai ébauché est atteint d'une probité radicale, d'une incurable bienveilance et d'une circonspection pusillanime, qui nouent les facultés et l'empêchent d'atteindre à la hauteur d l'Hercule constitutionnel."

Mon concitoyen Delepierre ci-dessus mentionne encore
  • Eloge de la brotade par un enthousiaste
  • Les usines de Lyon, ode
  • Offrande à Chalier, ou idées vraies et philosophiques tracées à la hâte et offertes à son dernier officieux
ouvrages que je n'ai pas trouvés, et

Etrennes, ou adresse à mm. les rédacteurs du "Courrier de Lyon", à tous les journalistes, feuillistes, lecteurs, abonnés, etc. (16 p.)


Un texte court, une fois n'est pas coutume (toutefois ce document semble incomplet), ainsi que

Les états généraux de l'autre monde, vision prophétique. Le tiers-état rétabli pour jamais dans tous ses droits, par la resurrection des bons rois et la mort éternelle des tyrans (566 p.)


Deux tomes, comme il se doit truffés de notes, combinés dans un fichier PDF. Dans le chapitre intitulé "Coup d'oeuil sur la grande assemblée de l'autre monde" on contemple le trône divin entouré de sa cour. Chassaignac arrive à caser ses copains décédés au dernier rang.


A la page 175 du deuxième tome, les notes de bas de page reprennent le dessus. Et à la fin du volume il y a même un supplément à une note, qui fait 16 pages, lui-même amplement pourvu de notes.

La conclusion de la page 261 de cet ouvrage politique en ces temps révolutionnaires (Chassaignon écrit vers la fin du dix-huitième siècle) semble tout droit (si j'ose m'exprimer ainsi) sortie d'un discours du maire de Champignac:

La moëlle de lion dont le Centaure, instituteur d'Hercule et d'Achille, nourrissait ses élèves, n'eût pas convenu à tous les hommes: il ne faut pas donner des liqueurs brûlantes à une tête ivre, ni des aliments forts à un estomac débile. Chez un peuple qui fut longtemps esclave, que le tocsin de l'insubordination vient de réveiller en sursaut, et qui ne veut voir dans la verge qui l'a châtié, l'instrument des vengeances divines, n'est-il pas à craindre que l'armure de la liberté aiguisée par une aveugle colère, et devenant une faux tranchante et parricide, n'abatte les têtes les plus sacrées, et ne coupe les liens les plus nécessaires?
Chassaignac, Champignon, c'est kif-kif.
La prochaine livraison traitera de Jean-François Lelut et de Constant Leber.

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